1. Les supraconducteurs à haute température critique
  2. En 1986, J. BEDNORZ et A. MÜLLER découvrirent un oxyde supraconducteur à base de Baryum, de Lanthane, de Cuivre et d'Oxygène : BaLaCuO. Sa température critique de 34 K relança le débat sur la limite de la Température critique (Tc). YBaCuO puis TlSrCaCuO, avec des Tc respectives de 92 et 125 K, mirent provisoirement fin à toute idée de température limite.

    Ces nouveaux supraconducteurs, appelés supraconducteurs à hautes températures critique (SHTC), ont fait naître dès 1986 une vague d'euphorie marquée par un grand nombre de colloques dont le plus célèbre est la réunion de l'American Physical Society du 18 mars 1987, considérée comme le "Woodstock de la physique", ainsi que par une formidable "course aux Tc". Ils ont fait naître de grands espoirs pour les applications de la supraconductivité. Les industriels pressés durent vite déchanter du fait de la grande complexité des SHTC et de leur difficulté de mise en forme.

    1)Le problème de la détermination des paramètres critiques :

    Alors qu'avec les supraconducteurs conventionnels (qu'ils soient de type I ou II), on assistait à une chute brutale de la résistivité lors du passage à l'état supraconducteur, les SHTC présentent parfois un saut de résistivité moins franc. Pour les applications, on définira le seuil de température important là où la résistance devient nulle. Pour les "inventeurs" de nouveaux matériaux, le seuil intéressant est celui où apparaît la première signature du phénomène.

    La détermination du courant critique Ic à partir de la courbe d'aimantation est rendue difficile par la méconnaissance de la relation entre aimantation et densité de courant, notamment car on ne sait pas exactement comment se répartissent les courants à l'intérieur d'un supraconducteur. On définit alors le courant critique comme le courant pour lequel apparaît une tension.

    a)Les longueurs caractéristiques :

    L'état supraconducteur est caractérisé par deux longueurs caractéristiques, la longueur de pénétration de London l L et la longueur de cohérence x . Compte tenu de l'anisotropie des SHTC, ces paramètres dépendent des axes cristallographiques a, b et c. Leurs longueurs caractéristiques sont différentes de celles des supraconducteurs conventionnels. En particulier les longueurs de cohérence relatives à l'axe c sont extrêmement faibles.

    Longueurs caractéristiques à T = 0 K des SHTC

    Composé

    Tc(K)

    x ab

    x c

    l Lab

    l Lc

    Yba2Cu3O7

    92

    3

    0.4

    30

    200

    Bi2Sr2CaCu2O8

    85

    4

    0.2

    25

    500

    Bi2Sr2Ca2Cu3O10

    110

    1.4

    0.2

    160

    1000

    Tl2Ca2Ba2Cu3O10

    121

    1.4

     

    163

    490

    NbTi

    9.5

    5

    5

    300

    300

    Compte tenu du rapportl /x , les oxydes supraconducteurs sont tous de type. En découle l'existence de deux champs magnétiques critiques Hc1 et Hc2. Comme les longueurs de cohérence sont faibles, les deuxièmes champs critiques doivent être élevés. C'est bien le cas. Ils sont de l'ordre de 100 T.

    b)Leur structure microscopique :

    Les SHTC sont des oxydes intermétalliques. Leur structure est fortement anisotrope : leurs propriétés ne sont pas les mêmes dans toutes les directions. Deux directions principales se dégagent, l'une constituée d'empilements de plans CuO2 (appelés plans ab), l'autre lui étant perpendiculaire (notée c).

    Une maille élémentaire comporte n couches de plans CuO2, chacun séparé par des atomes de calcium (Ca) ou d'yttrium (Y). Ces n plans sont encadrés par deux blocs contenant des métaux, des terres rares et de l'oxygène, qui constituent des réservoirs de charges positives. On admet actuellement que la supraconductivité apparaît au niveau des plans CuO2. Les blocs "réservoirs" jouent le rôle d'isolants, canalisant le courant suivant une direction précise, les plans ab. La densité de courant critique est beaucoup plus grande suivant la direction ab que suivant c.

    La nature des atomes utilisés dans les blocs isolants définit les différentes familles de SHTC. Les principales sont celles à base de bismuth (Bi), du thallium (Tl) et du mercure (Hg), ainsi que "YBaCuO". Chaque famille contient un grand nombre d'oxydes supraconducteurs puisque le nombre de plans CuO2 joue un rôle fondamental, de même que la stoechiométrie du composé (le dopage).

    e)Leur structure macroscopique et le problème des jonctions faibles :

    Alors que pour un supraconducteur conventionnel les propriétés sont assez semblables pour un monocristal ou un polycristal, ce n'est jamais le cas pour les SHTC. Ceci est dû à l'anisotropie de la structure de ces composés qui, dans l'état polycristallin, présentent des grains orientés aléatoirement et donc des plans (a,b) non parallèles. Une dégradation des performances s'ensuit. Par ailleurs, ces matériaux polycristallins sont composés de grains accolés entre eux par des joints de grains, qui constituent à leur interface une barrière au passage du courant et se comportent comme des jonctions Josephson.

    L'épaisseur de la barrière doit être comparée à celle de la longueur de cohérence x qui détermine la variation spatiale de l'état supraconducteur. Si le joint de grain est plus petit que x , il n'aura qu'une influence limitée, et le courant sera peu affecté par cette barrière. C'est le cas des supraconducteurs conventionnels. Par contre les SHTC étant fortement anisotropes, les longueurs de cohérence sont différentes suivant la direction cristallographique choisie, et le rapport x ab/x c n'est plus négligeable. Les joints de grains peuvent alors constituer des obstacles non négligeables au passage du courant, en particulier le long de la direction c. Pour cette raison ils sont appelés jonctions faibles.

    Pour minimiser ce problème on peut "texturer" ou "tisser" la céramique, c'est-à-dire orienter les plans (a,b) parallèlement, tout en éliminant les défauts qui peuvent jouer le rôle de jonctions Josephson. Pas trop tout de même, car ils servent à ancrer les vortex...

    f)Influence du champ magnétique et ligne d'irréversibilité :

    Alors que le champ magnétique ne modifie pas l'allure de la courbe résistivité-température d'un supraconducteur conventionnel (elle est simplement décalée avec une nouvelle valeur de la Tc), il en va différemment pour les SHTC : la résistivité disparaît plus progressivement lorsque le champ magnétique extérieur augmente.

    La courbe M(H) est également différente. Alors qu'en champ croissant l'aimantation est réversible, en champ décroissant elle devient irréversible en dessous d'une certaine valeur, notée H* et appelée champ d'irréversibilité. Au-dessus de H*, la densité de courant critique est nulle puisque l'aimantation est parfaitement réversible. La valeur la plus intéressante n'est donc pas Hc2, mais H*, qui est très inférieure. Ce champ est aussi anisotrope (beaucoup plus fort suivant les plans ab).

    L'aimantation possède le même comportement avec la température. On définit donc une température d'irréversibilité T*.

    La courbe H*(T) donne la ligne d'irréversibilité du matériau. Celle-ci délimite la zone de "vortex glass" (résistivité nulle) de la zone "liquid vortex" (résistivité non nulle).

    Entre H* et Hc2 les vortex ne sont pas ancrés. Ils forment un liquide, d'où le nom de "liquide de vortex". Par contre en dessous de la ligne d'irréversibilité, les vortex forment un verre amorphe, et non un réseau d'Abrikosov.

    2)Les paramètres critiques :

    En plus des quatre paramètres critiques classiques relatifs aux supraconducteurs de type II (Tc, Hc1, Hc2 et Ic), on en définit de nouveaux :

    -la température d'irréversibilité T* : c'est la valeur de la température en dessous de laquelle l'aimantation devient irréversible.

    -le champ d'irréversibilité H* : c'est la valeur du champ magnétique externe en dessous de laquelle l'aimantation devient irréversible.

    -la température de gel Tg : c'est la température qui délimite les deux comportements de la caractéristique champ électrique - courant E(J).

    -si T > Tg, le système se trouve dans une phase explicable par le flux creep (TAFF), et E = 0 <=> J = 0.

    -si T < Tg, le système n'est plus explicable à l'aide du flux creep, et on peut trouver des valeurs finies de la densité de courant pour lesquelles le champ électrique s'annule ; on peut donc trouver une résistivité nulle à une température non nulle !

    Ce sont les paramètres Tg et H* qui sont les plus importants pour un oxyde supraconducteur.

    La ligne du second champ critique est assez mal définie, sauf si elle est déduite d'une mesure de saut de chaleur spécifique.

    Pratiquement il y a quatre courants critiques, dépendant de la direction de propagation du courant et de celle du champ magnétique. Même si les valeurs de ceux-ci sont faibles par rapport au courant critique des supraconducteurs conventionnels pour des matériaux massifs, on peut obtenir des valeurs très importantes dans des couches minces.